Juste Comme Ça - 3


L'automne, on ressort les petits lainages, les vrais vêtements, les véritables secondes peaux, on commence à rentrer un peu en soi. Autour, l'exubérance, la fête des couleurs pour plaire aux dieux et faire en sorte qu'ils reviennent avec la chaleur un peu plus tard. Novembre. Ce mois que j'adore. Impossible de me résoudre à en manquer un seul instant. Décembre, ses firmaments chandelles brumeux, ses flocons, ses volées, ses cristaux de neige si différents, parfois d'une heure à l'autre? Puis, l'hiver, avant qu'il ne se termine, juste au solstice, preuve que les dieux ont une fois encore écouté nos chants de feuilles d'érable et de labours? La fête des sapins, Noël, la tendresse. Na... Janvier? Dont je hais le froid, le turquoise et blanc, la glace qui fendille à force de geler? Ah non! Ce serait là avouer mon échec face à ce vilain mois au lieu de lui faire un pied de nez et de lui crier à tue-tête que février est la fin de l'hiver et que j'en ai décidé ainsi et que c'est bien pour cela qu'avant lui, j,ai déjà semé mes tomates! Il m'arrive tous les jours de croiser des êtres humains et toutes sortes de formes de vie qui vont selon toute vraisemblance, continuer leur bout de chemin après que le mien se soit terminé. J'aime les imaginer à ce moment précis, eux qui n'auront jamais vraiment croisé mon regard, ni moi le leur, eux encore moins, je crois. J'ai lu hier un petit livre que je trouve adorable en tout: l'objet en entier, tout ce qui est dedans, écrit, illustré, tout. Deux chats sous un même toit, de Patti Davis. Un chapitre dune petite page et demie suivie d'une page colorée et d'une moralité. Moralité: chaque fois que cela est possible et avec ce dont on dispose, se laisser imprégner de tous les débuts en et hors nous entrer dans leur coquille devient une manière prismatique de vivre.

Juste Comme Ça - 2


Je ne suis pas douillette, loin de là. Passé un certain cap, je ne veux plus. Non. Je constate seulement que tant de gens ont ce petit diable en eux qui non seulement refuse de s'éteindre, mais reste toujours sur sa faim, tout en se sentant comblé. Sans que cela ne soit paradoxal. C'est qu'il y a, au fil des millions, milliards de deuils quotidiens, dont tout ceux qui se passent dans notre corps même et dont fort heureusement nous ne prenons pas souvent conscience, un coup d’œil dans le miroir, une petite fièvre, un mal de bloc nous ramèneront brièvement à l'ordre. Pourtant, nous demeurons insensibles à l'ampleur de la catastrophe, loin des détails des luttes infiniment petites de la vie et de la mort, dont nous constituons le territoire, tout ce qui se joue pour ainsi dire à une autre échelle. Certaines maladies, plus cruelles, nous ouvrent une fenêtre sur ce monde qui apparait alors en partie, telles une porte ouverte sur l'enfer. Pour une bactérie, nous sommes un univers. Parfois, je me demande quel serait, dans un futur si lointain que je ne veux pas l'imaginer ou alors dans un instant, quel serait le meilleur temps pour mourir. Vraiment! Je fais cette niaiserie qui vous parait peut-être lugubre, mais qui au contraire est à la fois une sorte d'apprivoisement et d'éloignement. Chaque saison n'est pas la bonne, On oublie les saisons... le printemps, que l'on dit la première, la primavera. La vie qui resplendit, la terre, les tulipes, les couleurs, le vert lime, toutes ces promesses... Moi, manquer cela? L'été m'apparait comme la normalité de la vie planétaire, où tout ce qui a à pousser pousse, fleurit, murit, se mange ou se sème, l'un et l'autre, où on ne se bat contre rien pour entrer ou sortir de la maison, généralement. On n'y pense même pas.

Juste Comme Ça - 1


J'adore marcher. Dans mes rêves, je marche souvent, je traverse souvent un pont, toujours le même il me semble, et cela m'est tout naturel. C'est ce que je faisais dans la réalité quand je voulais venir à Montréal, encore petite, de ma banlieue complètement dépourvue de transport collectif adéquat. Des kilomètres. Lorsque j'habitais au Sud de la ville, je marchais souvent pendant des kilomètres. C'est que partout où j'allais ou presque, il y avait une ligne de métro en parallèle ou alors elle était loin, mais il y a avait toujours le bus et bon, le défi était meilleur de me rendre au moins jusqu'à un métro. Et là, de métro en métro, je me disais que cela ne valait pas la peine de le prendre, pas tout de suite, jusqu'à ce mes repères deviennent trop connus et que je me disais que la honte m'envahirais si je cassais, comme si la foule invisible à l'intérieur de moi allait vivre une telle déception que jamais plus je n'oserais la regarder en face. Et croyez-moi, c'est dur de dur, regarder tous les visages de la foule en face au même moment. J'ai toujours, même dans mes moments les plus sombres, adoré la vie. Il y a toujours quelque chose là, tout de suite, qui apporte du bonheur juste à la savourer des sens dont nous disposons. Pour avoir travaillé à maintes reprises avec des aveugles et amblyopes, je vous assure que leur imagination et leur manière de savourer les paroles qui décrivent, le ton de la voix, la chaleur de la présence en font souvent de grands enfants pour ne pas dire de grands délinquants. Et comme leurs émotions se voient, pour nous, c'est un sentiment extrêmement étonnant et grandiose que de constater combien la vision intérieure, liée à d'autres sensations, exulte et rend taquin à souhait, enfin pour plusieurs. Donc, ce que l'on a, dans bien des cas, est déjà un pas dans la bonne direction. Ne généralisons pas, je ne suis pas devenue jovialiste et je perds tout mon courage et tout mon gout de vivre, passé un certain seuil de douleur physique. 

Passage des Rosiers...


Dans une ruelle tranquille du marché aux Puces, les boutiques se suivent et se ressemblent par le capharnaüm, plus ou moins organisé, qui nuance leur homogénéité. On peut y croiser des promeneurs curieux à l'affût de la lampe à pétrole pour éclairer leur vessie, en quête de la faucille qui repousserait l'avènement de la faucheuse ou du marteau arracheur de clous du spectacle... sans oublier la multiprise qui les relierait à la vie. Ici, un escalier en bois dont la dernière marche t'emmène vers le vide, sorte de stairway to heaven, plus loin, une vieille caisse remplie d'un bric à brac, boîte de Pandore dans son genre. Dans ce passage tranquille, il en traîne des rêveurs, des chercheurs passionnés, des curieux prêts à se laisser tenter, des comme moi à la recherche d'autres images pour d'autres mots... De l'intérieur de La Chope des Puces, un air de guitare, un solo et de nouveau cette rythmique caractéristique du jazz manouche. Et puis, quelles gueules, quelle dextérité distillant un feeling de subtile précision mélodique. L'endroit est habité d'âmes en quête de leurs origines, respirant les réminiscences de racines millénaires, survolant les nuages musicaux d'une histoire. Il plane dans ce quartier une atmosphère à la fois calme et trépidante où l'histoire des objets raconte l'histoire des hommes... où des hommes nous racontent l'histoire qu'ils recherchent. Entre le passage des Rosiers et la rue du même nom, un univers hors du temps profondément ancré dans la ville.
Jazz saxofon